
Ce mois-ci, je me propose de réfléchir à la notion de « défi ». Ce mot évoque tout de suite de grandes choses : on pense par exemple à ses rêves d'enfants, lorsque la petite fille ou le petit garçon imaginaient devenir artiste, ou scientifique, ou n’importe quoi d’autre, et qu’il n’y avait, à cette époque, aucune commune mesure entre ces envolées imaginaires et la manière dont nous avons, finalement, relevé les défis de la vie.
Il y a là quelque chose d’intéressant : cela montre que la notion de défi vient d'un différentiel entre ce que nous sommes – un individu défini par des limites précises – et ce que le défi est censé nous faire devenir. Cela signifie qu’il y a des défis trop grands pour nous, bien sûr ; et donc, qu’un défi évite d’être délirant, ou dangereux, voire suicidaire, s’il sait évaluer certains rapports de proportions.
Pourtant, si l’on relevait seulement les défis qui sont à notre taille, eh bien, le concept serait tout simplement détruit. Un défi comporte la promesse d’un accroissement comblant l’intervalle entre l’actuel et le possible. Il faut donc apprendre à scruter et à aimer ce différentiel entre ce que l'on est et ce que notre propre action peut nous faire devenir. Dans ce contexte, la différence entre les deux ne doit pas être perçue comme une distance statique, autrement dit comme l’écart entre un point de départ et un point d'arrivée. Elle définit plutôt un parcours dynamique.
En effet, lorsque l’on fait une randonnée et qu’on se propose de passer un col, la distance ou le dénivelé sont des indications très grossières du défi proposé, car ces mesures ont une importance relative : leur ressenti sera variable d'un individu à l'autre. Pour l’un c'est un immense exploit de marcher 3 km, pour l’autre ce n’est même pas le début d'un entraînement (mais dans ce cas, le vrai défi est peut-être, pour le grand sportif, de s’adapter au rythme des débutants ?). Bref, la personne qui connaît ses forces évitera de se proposer n’importe quoi.
Ainsi, à bien y regarder, il faut apprendre à situer la notion de différentiel de manière adaptée. Cela signifie que la valeur d'un défi ne vient pas du tout de ses dimensions relatives, bien qu’elles le définissent. Sa valeur vécue s'exprime dans un certain rapport qualitatif, inscrit dans le devenir.
Cette première observation confirme une chose : penser en termes de performance est immédiatement contre-productif. Pourquoi ? Parce que la performance se fonde sur l’évaluation objective d’un résultat extérieur, autrement dit passe entièrement à côté du défi. Le défi, lui, n’est ni objectivable, ni réductible à un résultat : il s’agit d’un processus, et ce processus dépend d’un changement qualitatif.
Si l’on accepte cette distinction, on ne tombera plus jamais dans le piège où la performance devient un moyen de pression par lequel les organisations, au lieu de se laisser orienter et définir par leurs agents, les contraignent à des objectifs précis – jusqu’à ce que la signification de l’objectif devienne étrangère aux agents et que le système s’effondre. Le délire d’une performance quantitative n’est même pas réductible à une logique capitaliste ou, plus globalement, mercantile, car l’obsession pour l’argent est secondaire. Ce qui vient en premier, c’est la survalorisation des données objectives pour définir la valeur (des gens, des organisations, etc.). Si la notion de défi est capable de surmonter la différence entre réussite et échec – car un défi, on le remporte immédiatement du fait qu’on se le propose – c’est parce qu’il s’agit d’une transformation désirable et désirée. Alors, comment ça marche ?
On verra ça la semaine prochaine !
Maxime
Je me voyais bien devenir artiste, visionnaire, scientifique, penseuse. Ce n'était pas un défi mais une évidence. Il faut qu'il y ait eu incohérence ou accident à l'origine pour qu'il y est défi. Puis un jour on vous dit le sommet n'est pas accessible pour toi, tu deviens celle qui regarde les autres. Mais personne ne revient plus des défis, les défis ont été cartographiés !
Il y a une semaine, un ami me confie qu’il s’interroge sur la capacité d’analyse de ChatGPT. Il me demande de lui fournir une image de moi, l'analyse de l'IA est foisonnante, de mon portrait elle dit entre autre : "L'animalité apprivoisée sans domination, ce n'est pas un rapport de force mais de présence". Cela étant énoncé, je me questionne, il me semblait que la présence était ce qui git au fond, plaquée au sol dominé, une expérience profonde qui ne touche jamais les hauteurs, qui n'y est jamais invité !
dans notre période de montée vers un panthéon "pandémonium" tout me semble à l'envers ! Nous passons de la pièce d'identité à la feuille de présence. D’un papier qui garantit qui nous sommes, à un document qui atteste que nous avons été là. Dans la volonté de preuve de présence au sommet, d'un défis surmonté, où se situe l'endroit ou l'on est présent sans preuve.
Hegel et Husserl parlent t-ils de hauteur ou l'on se confronte, ou bien de profondeur où l'on croise tout ce qui est précieux. Après tout que voit t'on de la vérité depuis les cieux ? Qui peut vraiment prétendre voir autrement ? Le pionnier ne force-t-il pas les autres à valider l’absolu d’une image et la grandeur d’une quête ?
On imagine le sommet comme un espace de liberté et de solitude réconciliées. Mais est-il vraiment le lieu de la confrontation avec soi et le monde, ou seulement une expérience intérieure mise en scène? y'a t-il un esprit avec qui l'on se réconcilie lors de l'ascension ;
L’endroit où l’on est libéré et grand, est-ce un sommet, ou un état d'être ? Au sommet, comme face à une image analysée, y a-t-il un point où l’on accède à la vérité, ou bien est-ce un espace qui ne fait que révéler nos propres projections ? Quel serait le monde des individus qui définiraient tout en terme de défis et qui briserait l'évidence et la présence?